top of page
Posts à l'affiche
Check back soon
Once posts are published, you’ll see them here.

Des racines et des graines


- Tu as enfin coupé ta barbe, mon frère ?

- Comment ca, enfin ? Ca fait 20 ans qu’on se s’est pas vus ! Je l’ai rasée depuis belle lurette ! Emma n’aimait pas ça. Elle dit que les poils, ça gratte.

- Et tu as cédé, évidemment…

- Mon pauvre, que sommes-nous sans nos femmes ? Plus grand-chose, soyons honnêtes ! Si elle n’avait pas été là pour me donner foi en c’te bistrot, à l’heure qu’il est je serais encore au bled à retourner la terre et à m’y casser le dos…

Youssouf se pince la lèvre. Il n’aime pas entendre parler de son pays comme d’un trou obscur d’où l’on ne sort rien de bon.

- Elle te manque pas, notre Kabylie ?

Ali fronce des sourcils contrariés. Il enfonce ses mains dans ses poches et regarde droit devant lui.

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Qu’est ce qui me manquerait ? J’ai tout ici, et bien plus que ce que j’aurais espéré avoir là-bas.

Sa voix s’écorche. Il rajoute d’une voix caverneuse, arraché à lui-même :

- Et puis « notre » Kabylie comme tu dis, celle que j’ai connue, n’existe plus. Plus que dans ma mémoire. Que reste-t-il ? Je ne vais pas me battre avec mes souvenirs, le passé ne reviendra plus…

Son regard se perd dans l’agitation urbaine environnante. Youssouf observe son ami avec une certaine pitié. Il n’aurait jamais pu supporter de vivre déraciné, lui.

- Je me serais transformé en vieille branche desséchée, murmure-t-il.

- Quoi ? Reprend Ali, brusquement sorti de sa rêverie.

Youssouf lui adresse un sourire triste en secouant la tête.

- Allez, viens donc gouter mon couscous! L’invite Ali par une bourrade joviale dans le dos. La recette de maman. Tu n’en trouveras pas deux comme celui-là à Marseille !

- Qu’est ce que je découvre quand je pars en voyage moi : les couscous du bled ! Pourquoi se donner tant de peine à partir ! Ha, ha. Sacré Ali, et moi qui croyais que tu t’étais mis au halouf depuis toutes ces années.

- Que crois-tu mon frère. Que la France m’a transformé ? La Kabylie j’y mettrais peut-être plus jamais les pieds, mais Amdoullilah elle coule encore dans mes casseroles et dans mon sang. On peut tout renier mais pas ce qui nous fait vivre !

Youssouf, amusé, s’attable. Un couscous fumant est déposé devant lui, comme parachuté de chez lui. Celui de là-bas – le même, mangé la veille – est toujours dans son ventre.

Est-il vraiment parti ? Il ne sait plus trop. Ce couscous vient lui dire : « fais ici comme chez toi ».

Dans sa bouche, comme un goût de faux-départ rassurant.


Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
No tags yet.
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
  • Twitter Basic Square
  • Google+ Basic Square
bottom of page