L'enfer est pavé de bonnes intentions

- Heureusement qu’on m’empêche pas de porter mon voile moi, pardi ! tonne une bonne-sœur en rentrant au couvent.

Henriette fait la sourde oreille. Elle sort à son tour pour quelques emplettes mensuelles. Avant, elle et ses sœurs étaient les seules à parader en ville avec un tissu sur la tête. Maintenant, d’autres leur ont pris la vedette. Henriette sent une fraternité un peu absurde et irrationnelle à l’égard de ces femmes. Ses sœurs lui affirment qu’elle s’égare mais Henriette trouve ce sentiment agréable et beau. Son cœur s’emballe toujours un peu, comme si elle y voyait une preuve de l’unicité de dieu. En croisant une femme voilée dans la rue, elle ne peut s’empêcher d’esquisser un petit sourire complice. Elles sont sœurs, après tout.

Mais aujourd’hui son chapelet lui pèse au cou comme un chemin de croix et sa cornette lui donne mal à la tête. Ces débats incessants sur la laïcité et le port du voile la mettent mal à l’aise. L’écart abyssal entre son privilège intouchable de pouvoir afficher sa religion, et ce même droit toujours plus menacé pour les musulmanes, lui donne le vertige. Brusquement, elle trouve terriblement naïf de se sentir proche de ces femmes. Elle a honte d’afficher ostensiblement cet avantage et a envie d’arracher son voile. Que leur renvoit-elle, à part le symbole d’une religion majoritaire qui n’aime pas que l’on vienne marcher sur ses plates-bandes ? Henriette sait bien qu’elle n’y est pour rien, mais elle a envie de dire à toutes ces femmes qu’elle est désolée d’être. Elle se sent d’un coup coupable de tous ces sourires commiséreux adressés à ses sœurs musulmanes. Quelle solidarité pouvait y être lue ? Y avait-il en réalité autre chose qu’une pitié creuse et snob ?

« Henriette, là, tu as pissé au bénitier, ma vieille… ». Elle ne sait plus où se mettre. La honte d’avoir honte de son chapelet, maintenant…