En tension

C’était moi c’était toi, le nez fendant la bise des jours aveugles et rieurs des étés anciens. J’ai des traces mnésiques suspendues dans un mirage aux contours flous. Tu es là quelque part, flottant dans le souvenir intact des joies frondeuses de l’enfance, son éclat impertinent. Je perds pied, j’y suis. Les plongeons bruyants et explosifs dans le canal ; les jardins secrets de bois enfoncés dans les bulles de goudron brûlant, le coup de fouet incisif de la corde à sauter sur le pavé fatigué. La ville nous appartenait. Sentiment de toute-puissance et liberté absolue, rien ne nous était impossible en ce temps-là. Ma tête tourne, j’ai le vertige d’une enfance en fuite, je me revois peu à peu fugitive de moi-même ; sans le savoir encore je me suis perdue loin des vies que je m’inventais, seule avec mes rêves, seule avec toi. Tout est allé si vite. Nous n’avons pas eu le temps de comprendre où nous allions. Où ce fil invisible allait nous mener. Désenchantement. C’était moi, c’était toi. Retenus. Disparus. Encore là. Revenus. Retrouvés. Des armoires s’ouvrent. Des parfums en remontent, intacts. Le souffle tiède et suave de ces étés-là me caresse la nuque. Les temps se confondent. Je ferme les yeux. Je m’abandonne. Rouvrir des portes et les laisser courir.