Espérence

Cela faisait longtemps qu’il attendait. Trop longtemps, peut-être. Trente ans qu’ils s’étaient donnés rendez-vous là exactement. S’en rappelait-elle ? Il n’osait croire le contraire. Il y a trente ans ce café sobre et sans prétention s’était paré des plus admirables atouts : c’est lui qui avait été le point de convergence de ces deux êtres qui se sont aimés. Lorsqu’Alain s’y était rendu la première fois, ce coin de rue avait pris pour lui des allures de guinguette joyeuse et paisible. Des amours, il en avait connus. Mais celle-là, si elle n’était pas partie… La promesse avait précédé l’attente. Ce genre de rendez-vous un peu fou, auquel seuls croient les enfants, il ne l’avait pas oublié, lui. Trois décennies plus tard, il ne manquait pas à l’appel.

Mais depuis le temps qu’il était là, son espoir concentré en cet instant de vie s’évanouissait aussi vite que les bulles de sa bière. « Si elle n’est pas là lorsque j’aurai fini mon demi, je m’en vais ». A cela s’était-il résolu. Un rêve qui s’éteint. Une page d’existence qui se tourne, peut-être enfin pour permettre de vivre pour de bon. Mais quand-même… c’est un peu d’orgueil, aussi, qui périssait sur cette terrasse vide. Pouvait-elle avoir oublié quelqu’un comme lui ? Impossible. Elle serait dans l’empêchement de venir. Ou alors, elle aurait perdu la mémoire. Morte, peut-être… Qu’importe. Il fallait bien que ce jeu eut une fin. Mais Alain avait toujours été mauvais perdant. Il mettra longtemps à finir sa bière.

Derrière la vitre, les mains moites et tremblantes d’une femme tripotent nerveusement une facture posée là plusieurs heures plus tôt. A plusieurs reprises, elle s’est levée, a poussé sa chaise, a vu son reflet dans la vitre et s’est rassise. Parfois, il est des bonheurs qui ne peuvent résider que dans le souvenir.